Dans les années 1870 un conflit opposa devant les tribunaux les propriétaires de deux exploitations agricoles de Bouc, les époux Julien et et les époux Rolland. Le litige concernait l’usage d’une source souterraine située à La Gratianne et captée depuis fort longtemps par leurs ancêtres. Comme chaque partie essayait d’instrumentaliser la municipalité à son profit, celle-ci finit par découvrir que la source était située sur une parcelle appartenant à la commune, qui était donc spoliée. D’où la décision logique de mettre fin à ces pratiques. Mais à son tour la commune dût passer par la case tribunal...
Cette affaire pagnolesque remonta jusqu’au conseil d’État et la commune fut rétablie dans son bon droit, ce qui lui permit d’alimenter enfin en 1893 le centre du village grâce à une pompe à vapeur et à une fontaine placée devant l’église.
L’un des deux propriétaires, Henri Rolland, farouche opposant au maire Alphonse Pautrier qui l’avait battu à la dernière élection municipale, mena contre lui une véritable guérilla juridique. Bien qu’il ait perdu tous ses procès, son intransigeance le poussa à refuser un arrangement à l’amiable pourtant avantageux pour lui et il perdit de ce fait tout accès à la source. Manifestement, cet officier de marine en retraite préféra couler son navire plutôt que de rendre les armes...
L’association Bucco Memori a mis à jour ce conflit il y a deux ans en parcourant les archives nationales où se trouvent plusieurs mémoires déposés devant le Conseil d’État par le maire Pautrier. Et elle vient tout juste de découvrir que Rolland était un héros de la guerre de 1870, passé à la postérité en tant que Commandant Rolland : une rue de près de deux kilomètres de long porte son nom à Marseille, tout comme, à Besançon, une rue et un fort.
Né à Marseille en 1821, Rolland fait ses études au lycée de la ville puis intègre l’Ecole navale de Brest. Sa carrière dans la Marine nationale progresse rapidement car il s’illustre dans la campagne de Crimée en 1855. Nommé capitaine de vaisseau en 1868, il s’illustre à nouveau l’année suivante au cours de la campagne du Mexique. Il épouse en juin 1870 Marie-Claire Agard, héritière d’une belle propriété agricole à La Gratianne. Le père de celle-ci, l’avocat aixois Joseph Félicien Agard, directeur des Salins du Midi, eut l’idée de relier le cours Mirabeau au Palais de Justice d’Aix par le passage qui porte son nom. Son grand-père paternel, Michel Agard, est né à Bouc en 1770 et a été maire de la commune ; son grand-père maternel, Jean-Pierre Martin, est également né à Bouc.
Mais le mois suivant éclate la guerre franco-prussienne et Rolland est appelé fin octobre en Haute-Saône pour rassembler les gardes nationaux éparpillés dans le département. Il s’y applique avec succès et fait preuve d’une telle autorité qu’il est nommé un mois plus tard général de la VIIe division de l’armée auxiliaire, commandant de la place de Besançon.
Son prédécesseur ayant été critiqué pour son inaction, Rolland écrit dans son premier ordre du jour « Réveillons-nous ! ». Dès sa prise de fonctions il accélère le renforcement des défenses de la ville, pour la mettre hors de portée des canons ennemis.
Un témoin épistolaire note le 4 janvier 1871 que Le général Rolland déploie partout une indomptable énergie. Toujours debout (…) , il a réussi par son énergie à rétablir la discipline. Il a annoncé qu’il ne rendrait jamais la place.
Fin janvier, Rolland a sous ses ordres 42 000 hommes dont 10 000 blessés ; et autant d’inaptes au combat qu’il affecte au renforcement des fortifications. Cela provoque des tensions avec le préfet, qui le qualifiait en privé de « saltimbanque marseillais ». Gambetta donne raison à Rolland, ce qui entraîne la démission du préfet. Celui-ci la retire deux jours plus tard et refuse de laisser la place à son successeur au motif que le décret de nomination n’était pas parvenu par la poste à la préfecture… Le conseil municipal ayant validé la nomination, Rolland met fin à ce vaudeville en installant le nouveau préfet.
Autoritaire, jusqu’auboutiste, Rolland a su mobiliser ses troupes, surmonter la rigueur de l’hiver et vaincre les obstacles de toutes sortes, allant même jusqu’à créer une forge pour fabriquer des douilles d’obus. Il aura atteint ainsi l’objectif qu’il s’était fixé : Besançon n’est pas tombée.
Le 28 janvier 1871, le gouvernement provisoire de la France signe un armistice avec le roi de Prusse. Celui-ci a été proclamé empereur d'Allemagne une semaine plus tôt. Mais l’armistice n’arrête pas les combats dans l’est. Rolland négocie du 16 au 18 février avec l’adversaire les conditions de l’armistice sur la base des ultimes positions occupées par chaque partie. Mais cet accord devient caduc dès la publication du traité signé au niveau national le 15 février, beaucoup moins avantageux pour la ville de Besançon.
Rolland quitte Besançon le mois suivant, salué par la population qui l’accompagne, musique en tête, jusqu’à la gare
Nommé commandeur de la légion d’honneur le 7 juillet 1871 c’est une autre personnalité de Bouc, le président de la République Adolphe Thiers, qui lui remet sa décoration. Il réintègre la Marine nationale à Toulon mais il n’obtient pas la promotion au grade de contre-amiral qu’il pensait mériter et qu’une rumeur bisontine durant le siège lui avait d’ailleurs attribuée à tort.
Il prend donc sa retraite en 1876 et se présente aussitôt aux élections législatives dans la 1ère circonscription de Besançon où il est battu le 20 février par le député sortant, Albert Grévy, président de la Gauche Républicaine et frère de Jules Grévy : il n’obtient que 2 053 voix contre 6 985.
Il se retire dans le Midi, partageant son temps entre son domicile marseillais et la bastide de la Gratianne. Il décède en 1908 à Marseille.
Éloignés du théâtre de la guerre, les Boucains étaient beaucoup moins informés des faits d’armes de Rolland que de ses salves contre la commune et son maire Pautrier qu’il accusait de diverses turpitudes. Alors que lui-même, pour assurer la prospérité de son exploitation, utilisait de l’eau qui ne lui appartenait pas.
Dans ce conflit, au-delà des attaques personnelles Rolland n’hésita pas à utiliser un argument aussi cocasse que farfelu : comme la municipalité avait fait réaliser des levés topographiques pour préparer l’acheminement de l’eau jusqu’au centre du village et que Pautrier était ingénieur, Rolland lui reprocha de ne pas avoir effectué lui-même ces travaux, ce qui aurait fait faire des économies à la commune. A ce compte-là, si le maire avait été maçon il lui aurait fallu effectuer gratuitement toutes les réparations des bâtiments municipaux !
Il est donc compréhensible que le souvenir du Commandant Rolland n’ait pas été conservé dans la mémoire collective de Bouc : si la force était en lui, les Boucains n’en ont vu que le côté obscur...
Claude Avella, Jeanine Granget, Jean-Pierre Roubaud
Association Bucco Memori
SOURCES
BLES (Adrien) - Dictionnaire historique des rues de Marseille, Editons Jeanne Laffitte, Marseille, 2001
ESTIGNARD (A.) - La République et la guerre à Besançon, par un patriote comtois, Gallica, 1872
Base de données Léonore, Ministère de la culture
Base de données GENEANET
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Site de l’Assemblée nationale